Chapitre   2   :   de   Riga   à   Ulan-Ude

[mi-novembre 2015]

 

            Priviet !!

 

            Transsibérien, quand les distances et le temps s’allongent comme un chewing-gum que l’on tire entre les doigts et les d e  n   t      s         …

 

            Ce 7 novembre 2015 au soir, nous venons de passer 55 heures dans le même train !

 

            Ça vous parait certainement énorme, mais c’est la réalité de bien des Russes qui rendent visite à leur famille. Les distances et le temps sont d’un tout autre ordre dans ce gigantesque pays qu’est la Russie : le train fait des arrêts en gare de 20 à 40 minutes ! En Europe, on ne tolère pas de retard de plus d’une demi-heure !

 

            Améliorant nos conditions de voyageurs, nous avons opté pour la 2nde classe pour ce trajet. La 2nde classe s’appelle Kype (prononcez : « coupé » !). Nous partagerons ainsi une cabine avec une petite famille russe : Stass, le papa, travaille dans l’armée et Viéra, la maman, est étudiante en ingénierie technique ; Iana, leur petite fille de 3 ans, est adorable. Elle a joué au docteur avec son petit stéthoscope rose et ses ours en peluche pendant une bonne partie de voyage, quand elle ne gambadait pas dans le couloir avec les autres enfants du wagon. Ils vivent à Khabarovsk, une ville située à l’extrême Est du pays ; ils auront passé 6 jours dans cette cabine ! Ils reviennent d’une visite faite à la grand-mère de Stass, à Moscou.

 

            Nous partageons la nourriture ; eux boivent des quantités industrielles de thé noir avec jusqu’à 5 sucres par tasses pour Stass ! Sur le quai et à bord du train, des femmes vendent des feuilletés et raviolis frits qu’elles ont confectionnés elles-mêmes ; certaines vendent des vêtements en fourrure et en laine, ou encore des pignons de pin grillés qu’elles transportent dans des seaux et des bassines ! Il faut faire sauter la coque sous la dent avant de recueillir la chair tendre et blanche du pignon... Les Russes raffolent de ces grignoteries à croquer, comme les graines de tournesols qui envahissent des rayons entiers au supermarché. Sur les différents tronçons que nous avons empruntés (Nijni-Novgorod > Ekaterinbourg, pendant 20 heures ; puis Ekaterinbourg > Irkoutsk, pendant 55 heures), nous avons à chaque fois voyagé dans des trains qui datent, approximativement, des années 70 : les éléments d’usage sont en grosse fonte usée, les linos et autres sont surannés ; quant au samovar, c’est une espèce de machinerie complexe et obscure qui, toutefois, fonctionne très bien (n’est-ce pas là l’essentiel ?) ! L’hôtesse de wagon contrôle les billets à l’entrée du train, distribue les draps, et s’occupe également du nettoyage intégral - toilettes comprises - de son wagon ! C’est un autre monde.

 

            Sur notre premier tronçon, le plaisir de la découverte de lieux nouveaux n’est pas magnifié par la vision sans grand intérêt qu’offre la fenêtre du wagon 3ème classe ; il en sera de même sur une bonne moitié de notre premier tronçon (la jubilation d’observer lascivement des contrebas enneigés est toutefois réelle). Par contre, la dernière partie du trajet, entre Novossibirsk et Irkoutsk vaut à elle seule le déplacement ; ainsi, les paysages qui défilent sont à tomber : déserts de neige, steppes à perte de vue, forêts de bouleaux et de sapins, villages de maisons traditionnelles en bois peintes de couleurs chatoyantes, bref, un régal absolu en soi, doublé de l’impression de traverser un immense et authentique décor de western (ou plutôt : Estern !) - de ceux qui dépassent les clichés du désert chaud pour envisager une autre réalité de la géographie américaine : les montagnes et la neige (Little Big Man ; Danse avec les loups)… Nous qui aimons la nature et les grands espaces, on en prend plein les mirettes !

 

            Nous sommes probablement les seuls touristes du train. Nous attirons la curiosité des passagers, l’ambiance est toute en retenue, mais bienveillante.

 

            Suite à notre dernier mail envoyé depuis Riga, nous avons visité 5 villes de Russie : Saint-Pétersbourg, Moscou, Nijni Novgorod, Ekaterinbourg et Irkoutsk.

 

Cinquième étape : Saint Pétersbourg, ville d’art et d’eau ! [STP]

 

            A Saint-Pétersbourg, nous avons été accueillis par des couchsurfers adorables. Ainsi, dès le soir de notre arrivée, nous avons eu l’occasion d’assister à un concert de musique classique dans une grande église orthodoxe : Carmina Burana, de Peter Wolf, interprétée par cent choristes et un orchestre symphonique ! La claque ! Nous avons aussi visité l’incontournable musée de l’Hermitage : une pièce d’architecture colossale qui représente un quartier à elle toute seule ! Nous avons fait le choix de visiter la partie dédiée aux antiquités de Sibérie à l’Asie centrale. Ensuite, Gwen est allé apprécier des œuvres de Matisse et de Picasso (Ah, les céramiques de Vallauris !) dans une autre partie du musée. Nous déplorons néanmoins une politique discriminatoire à l’entrée du musée : en effet, le billet d’entrée est plus cher pour les étrangers ! Il faut montrer son passeport à l’entrée ; ensuite, le parcours est digne d’un aéroport : vestiaire obligatoire, interdiction d’entrer avec une bouteille d’eau… Bref ! Passons outre ces détails organisationnels, le lieu est majestueux !

 

            De nombreux lieux alternatifs fleurissent à Saint-Pétersbourg et nous passons une soirée mémorable avec les amis dans un bar au rez-de-chaussée d’un immeuble où vivent exclusivement des artistes de la scène alternative. Dans les couloirs, des œuvres sont stockées ou prêtes à être exposées en vue d’expositions à l’étranger.

 

            Terminons cet instantané en mentionnant ces ponts qui, la nuit venue, à heure fixe, se soulèvent pour laisser passer les bateaux, ramenant alors les différents îlots qui constituent la ville à leur état originel d’îles ! De sacrées stratégies de circulation sont alors opérées par les habitants…

 

Sixième étape : Moscou, capitale sans grand supplément d’âme [MOS]

 

            La place rouge et le Kremlin sont franchement incontournables ! Monumental ensemble de bâtiments proprement fascinants ! Et écrasants ; ainsi depuis Lübeck, que de bâtiments dont les lignes bousculent nos yeux d’Européens... Nous logons dans un petit hôtel du centre pour profiter au mieux de la capitale. Fort des conseils de nos amis rencontrés à Saint Pétersbourg, nous visitons deux friches industrielles transformées en quartiers de la création et du design : de nombreux artistes et jeunes créateurs y ont leurs studios de travail. Il y a aussi de nombreux open spaces et espaces de co-working, propices à la concrétisation de méthodes de travail innovantes et très en vogue.(WINZAVOD et ARTPLAY).

 

            Le métro (tout comme celui de Saint-Pétersbourg, d’ailleurs) est bien sûr époustouflant de par ses proportions, ses lustres, ses marbres… …et son affluence ingérable entre 17h et 20h !

 

Septième étape : Nijni-Novgorod, le début de la ruée vers l’Est [NIJ]

 

            C’est durant le trajet entre Moscou et Nijni-Novgorod que nous entrapercevons les premières neiges sur les bas-côtés : s’ensuit, crescendo, une excitation de gosse que nous partageons en pensée (nous ne sommes pas assis l’un à côté de l’autre durant cette petite portion de route de 5 heures – 5 heures ? Une broutille !). C’est aussi l’occasion d’être confronté à de nouvelles architectures, à des maisons plus rurales, plus petites, d’un aspect nouveau pour nous, en un mot : exotiques ! Nous serons hébergés dans un studio qui appartient aux parents d’Andreij, un ami de nos couchsurfers de Saint-Pétersbourg : un studio fonctionnel, juste pour nous, parfait pour se reposer de ces derniers jours animés. Andreij, notre désormais bon pote, fera son possible pour partager avec nous ses coups de cœur : une zone rurale à une demi-heure de voiture, un bar hors de l’ordinaire, et toujours davantage d’amis adorables et tout aussi généreux ; c’est ainsi que nous dégusterons noter premier borsch - et quel borsch !!! - chez Sacha, l’une de ses potes, qui sera notre excellent guide culinaire pour une soirée inoubliable.

 

Huitième étape : Ekaterinbourg, la tranquillité d’un entre-deux géographique [EKA]

 

            Toujours aussi chanceux dans nos rencontres, nous sommes hébergés chez Oleg, un jeune étudiant en informatique de 21 ans. Oleg est avenant, prévenant, et intelligent ; ce séjour sera aussi l’occasion de passer du temps avec son meilleur dryg (prononcez : « droug », en roulant bien le "r" !), Max, qui n’en loupe pas une pour mettre son grain de sel amusant et facétieux dans nos conversations. Nous avons partagé un moment très fort de la vie d’Oleg : il s’est définitivement séparé de son premier grand amour la veille de notre départ ; malgré la fatigue, nous l’avons accompagné dans ce moment si spécial, et il nous en est très reconnaissant. Nous avons donc laissé notre hôte plutôt apaisé, aussi paradoxal que cela puisse paraître, et à l’orée d’une nouvelle phase de sa vie de jeune homme sensible et ouvert au monde - après avoir visité le cirque de la ville et quelques endroits sympathiques (dont un excellent café-panorama que la neige tombante sublimait délicatement) -. Nous reverrons Oleg lorsqu’il nous rendra visite en France, lui qui aime tant l’eau !

 

            C’est d’ailleurs l’occasion d’évoquer ce rapport si spécial qu’ont les Russes avec l’eau ; omniprésente, mais sous forme de neige principalement en hiver, ils en ont une consommation déraisonnée : des douches de 45 minutes (!!!) pour les uns, des jets de rinçage de vaisselle qui coulent à pleins tubes des minutes entières pour les autres : de quoi donner des sueurs glaciales au moins rigoureux des amis de l’environnement !

 

Neuvième étape : Irkoutsk (Sibérie), joyau d’authenticité au cœur de l’âme russe [IRK]

 

            Ville la plus fraîche du monde ?! Bonne question, en tout cas, nous y vivons nos premiers - 8°C puis - 14°C ! A notre arrivée demandant notre chemin en sortant de la gare (déphasés par 3 jours de voyage !), nous faisons la rencontre d’une jeune fille qui nous donne, une fois de plus, une grande leçon de « directivité à la Russe », ce qui nécessite de mettre de côté tout orgueil ou susceptibilité. Vous connaissez ? Exemple : (en anglais dans la réalité)

 

   Elle - Wouaw, vous parlez super mal anglais !

   Nous - Comment ça ? Tu parles des français en général ou de nous en particulier ?

   Elle - Bah, de vous bien sûr !

   Nous - D’accord ! Et, tu nous dis ça gratuitement ou c’est argumenté ?

   Elle - Gratuit bien sûr !

 

            Irkoutsk par ailleurs est une jolie ville, beaucoup plus petite que les précédentes citées visitées (500 000 habitants, seulement !). Irkoutsk a été l’occasion pour nous de fêter Noël en achetant plein de chocolats et de faire plusieurs nuits blanches à cause du décalage horaire subit en sortant du train !

 

            Nous y avons aussi visité le musée régional dont le rez-de-chaussée donne un aperçu ethnographique des peuples de Sibérie. Certains ne forment plus que des communautés de nomades de 800 à 2 000 personnes. Située à 70 km du lac Baïkal, nous avons été s’y promener à la journée. Nous nous sommes rendus dans un village de pêcheurs appelé Lystvianka. On y pêche surtout un poisson nommé Omul et qui est un croisement entre le saumon et la truite. Il y a aussi des pierres vertes et violettes spéciales que l’on ne trouve qu’un Sibérie dans le lit des rivières et du lac. Il y a aussi des phoques nerpa mais on ne les a vus qu’en peluche ! Le lac Baïkal est un lieu absolument magique. Les énergies y sont très fortes et profondément mystiques.

 

Dixième étape : Ulan Ude, dernière rasade de Russie avant la Mongolie [UDE]

 

            Le train entre Irkoutsk et Ulan Ude longe toute la côte sud du lac Baïkal, au plus près. 8h de paysages sublimes entre « mer » et montagnes. Le lac Baïkal est aussi appelé la mer de Russie. C’est l'une des plus grandes réserves d’eau douce du monde : l’eau y est si pure qu’on peut la boire directement dans le lac ! On a tant envie de descendre du train et de prendre une rasade supplémentaire d’air pur !

 

            Par ailleurs, Ulan Ude est surtout le carrefour entre la Russie et la Mongolie. C’est la plus grande ville de Bouriatie. La Bouriatie est une des régions de la fédération de Russie. Les Bouriates constituent le plus important groupe minoritaire de Sibérie. Les Bouriates appartiennent au peuple Mongol qui constitua, sous Gengis Khan, au XIIIe siècle, un immense empire allant de la mer de Chine à la Volga, réparti aujourd’hui sur plusieurs territoires dont un seul est souverain - la Mongolie. A l'origine, les Bouriates de Sibérie sont, comme leurs cousins de Mongolie, un peuple d’éleveurs nomades habitant dans des yourtes et pratiquant le chamanisme. On a adoré les spécialités bouriates comme les Byy3a (prononcez : « bouza », en faisant un peu traîner le "ou"...), sorte de boulettes de viande cuites à la vapeur dans une pâte de ravioli. Le petit trou en haut permet d’évacuer la vapeur pendant la cuisson mais symbolise surtout la forme d’une yourte avec sa cheminée au centre. Un bon avant-gout de la Mongolie !

 

            Nous vous écrivons à présent depuis Ulaanbaatar (Oulan Bator, capitale de la Mongolie), où nous sommes arrivés il y a deux jours. Affaire à suivre … !

 

            Nous espérons que ce texte vous aura fait voyager.

  

            Nous espérons aussi que nos nouvelles vous donnerons du baume au cœur dans le contexte terrible qui secoue la France depuis les événements de vendredi soir.

 

            Nous pensons fort à vous tous. Plein de bisous !

 

            Emma et Gwen